Jean-Marc Savic

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Les problématiques que j’aborde dans mon travail trouvent tant leur source dans ma formation scientifique (Maîtrise de physiologie animale/biologie cellulaire et CAPES de Sciences de la Vie et de la Terre); que dans le champ du travail social (je suis en effet intervenant social dans un centre pour demandeurs d’asile politique depuis huit ans), ce qui induit naturellement une dimension psychologique dans mes productions, autour des questions de territoires, d'appartenance, de domination et de cruelitas, et en ce sens cette dimension appelle la question troublante de l'animal...

Je suis très sensible aux multiples et éternelles tentatives scientifiques de comprendre l'animal, comme s'il y avait un mystère à percer, notamment celui du langage animal, de l'intelligence et de la transmission culturelle.....Les animaux auraient-ils quelque chose à nous apprendre sur nous-mêmes ? Un peu comme si nous cherchions à comprendre comment et quand nous sommes nous extirpés de l'accaparement instinctif, pulsionnel définissant l'animal pour mieux conscientiser une part inconsciente de notre histoire.......le chaînon manquant de notre histoire ne serait pas à rechercher entre nous et l'animal mais peut-être entre nous et nous-même ?
Quel est par exemple le sens des forces qui nous entretiennent dans la domestication ?

Je pense qu'en tant qu'êtres dits supérieurs sur le plan évolutif, notre cerveau produit les moyens de son propre contrôle.
Nous sommes rentrés dans une nouvelle période où les hommes, après avoir définitivement achevé un travail de contrôle et de gestion totale du vivant (élevage industriel, biotechnologies, brevetage des cellules etc…), se sont engagés dans un vaste programme planétaire de contrôle esthétique des désirs.
Je crois que l'animal, le vivant sont amenés à disparaître en tant qu'unité, base de la vie, pour ne plus être que des fonctions de vastes organismes planétaires d'un niveau supérieur d'organisation au nôtre avec lesquels on entrerait en coopération.
La question du rapport homme/animal est davantage à poser en terme de rapport habité/inhabité plutôt qu'en terme évolutif.

L'homme rejoue continuellement des scènes originelles (la mise à mort froide, planifiée, organisée de l'animal jette un discrédit certain sur la valeur vie en la déconnectant de sa condition nécessaire qui est la mort) mais ce jeu est pathétique puisqu'il ne s'inscrit plus dans une perspective de sens de l'être mais de l'avoir (le bien-être, la propriété, le contrôle...).

Je crois que la relation homme-animal peut se lire comme un rapport nostalgique à l'origine, à la perte du territoire, à la perte de soi, du mythe et de son vécu ; et plus inconsciemment cette relation renvoie à la troublante nécessité des pulsions sexuelles et de mort.

La mémoire et ses manifestations entretiennent avec l’animalité un rapport ambigu.
Ma position consiste à fragiliser une certaine posture anthropocentrique qui selon moi dit plus sur notre méconnaissance de l’autre, de "l'autre animal", que sur notre connaissance "réelle".
La question de "l'animalité" n'est pas chez moi d'ordre philosophique ou politique au premier abord, mais bien d'ordre psychologique, puisque je l'envisage sous l'angle de ce qu'elle révèle, réactive dans notre conscience, ou plutôt en quoi elle est un filtre de lecture de notre inconscient.

Je m’intéresse aux concepts de méthode scientifique, à la notion de processus, à l’épistémologie, aux théories de l’évolution, plus généralement à toutes les questions touchant au savoir scientifique, ainsi qu’aux formes singulières qui peuvent émerger de la “surface d’échange” entre l’art et la science. J’aborde entre autres questions celle de la classification (comme obsession de la succession menant à l’ordre), celle de l’évolution (comme poésie centrale du vivant), celle de la transformation (la reproduction comme puissance d’union et de division).

Je réalise principalement des vidéos, des performances et des installations, mais je n'explore pas formellement un médium en particulier.
Dans « Muséum » (je chante des chansons à des animaux captifs), pièce réalisée en 2001, l’attention se focalise sur le pathos engendré par la posture du chanteur, célébrant la puissance romantique du geste humain.
Le corps animal, matière d’exploration du réel, est un espace de projection et d’extraction fantasmagorique, où nos représentations psychiques et mentales les plus dissonantes se forment.
Je crois que l’humanité manifeste un puissant désir de métamorphose, ancré dans le trouble d’une sexualité multipotente (« je me divise, on se divise », 2000), et dans le fantasme inavoué de retrouver une pensée mythique, ainsi que de dépasser la dualité originelle mâle / femelle par la synthèse entre le vivant et la technologie au sein même de son corps .
Peut-être l'avenir de l'homme est t-il dans un mode de reproduction asexuée ?

Dans les installations, l’intervention d’éléments d’improvisation (comme action perturbant la connaissance), la performance (chansons composées pour des actions uniques par exemple), perturbent, brouillent, décalent ce qui est donné à percevoir.
J’adopte dans les travaux plus récents une attitude performative affirmée (performance "The essentiel man_a space of disappointment" / 2010). J'aborde en effet de façon frontale, la question de la posture, et au travers d’elle celle de la certitude, comme principe de raisonnement central de la pensée humaine, refusant à l’animal la possibilité d’avoir un visage.

La question du sol, de l'appartenance, du territoire est présente aussi dans mon travail, et j'envisage la course et la percussion comme des indices d'oubli, de perte, de résistance.

Dans ses désirs de transformation, l’homme s’identifie à toutes les libertés supposées de l’animal, tel un fantasme inassouvi d’un pouvoir sans fin de réalisation du désir.

Mon travail intègre aussi parfois, des signes forts de mon origine yougoslave (« I love you », 2003), dont je ne souhaite pas orienter la portée identitaire.
J'envisage la présence de ma mère dans certains de mes travaux, comme indice d’hyper réalité, en cela qu’elle ne joue pas. Elle est dans les vidéos ce qu’elle est dans la vie.
Il me semble que sa présence opère un brouillage intéressant par rapport à la figure animale qui ne joue pas, qui est déployée dans un espace organique total.
Je ne l’envisage absolument pas comme un indice identitaire personnel (mon origine yougoslave), mais son accent induit nécessairement une considération sur l’altérité, l’ailleurs......l’ailleurs animal....l’autre monde....
Ce qui m’intéresse, c’est en quoi la relation que ma mère entretient avec les animaux, particulièrement avec son chien, nous dérange. A quoi touche ce malaise chez nous ?

J'aborde dans certains travaux la question de l’origine, sous certains aspects comportementaux, autour de la relation maître – animal domestique.
Ils mettent en tension une hypertrophie de certains besoins primaires comme la reproduction et l’alimentation, et révèlent la troublante question de la perte et de l'oubli.

Au niveau formel, je m'intéresse à des notions comme la représentation, le savoir et ses modalités d'existence et de transmission, à la présence du corps parlant et transpirant, et plus particulièrement dans les performances récentes, je tente de questionner le concept même d’exposition, par la présence du corps qui est "là", qui est présenté /représenté.

"Les esprits animaux ne sont que les parties les plus subtiles et les plus agitées du sang.
Nous n'imaginons les objets qu'en nous en formant des images, et que ces images ne sont autre chose que les traces que les esprits animaux font dans le cerveau.
Parce que les esprits animaux trouvant quelque résistance dans les endroits du cerveau par où il fallait passer, ils se détournent facilement pour entrer en foule dans les traces plus profondes des idées. " Nicolas Malebranche (1638-1715)