Présentation

Origine du projet Les Climats 

Une rencontre entre artistes ayant en commun un intérêt, une attirance pour les zones troubles de ce que l'on nomme communément : le réel.

Si l'histoire entre Jean-Marc Savic et nous, artistes du collectif EDS, débute à Nantes en 2005, alors que nous organisons à l'Espace Delrue la soirée pluridisciplinaire Cut Climax avec le concours de la Galerie Ipso Facto, la rencontre a véritablement lieu à l'occasion de notre exposition soundAffects au Centre d'art Le Village à Bazouges-La-Pérouse en 2006 (voir le site d' EDS collectif pour en savoir plus).

De cette amitié naissante et nos affinités artistiques germe l'envie de travailler ensemble. Nous décidons en 2007 de commencer par un entretien et de le publier dans le cadre de notre collection Entretiens d'artistes ( à ECOUTER ici ).

A la fin de cet entretien, Jean-Marc nous propose un "entretien retour", où cette fois nous nous trouvons en situation d'interviewés, le 17 octobre 2009 à Quimper. De stimuli en stimuli, nous proposons à Jean-Marc d'utiliser ce dernier entretien comme matière à sculpter.

C'est avec ses outils multiples et dissonants et son esprit foisonnant et expérimentateur que Les Climats prend alors forme...


Les Climats : présentation par Jean-Marc Savic 

Les Climats est un projet expérimental dont la forme et le processus de création sont étroitement liés. C’est une sorte d’organisme fabriquant des éléments qui rentrent potentiellement en interaction avec les matières les ayant produits.

L’origine du projet trouve sa source dans l’entretien réalisé avec le collectif d’artistes EDS. J’ai immédiatement considéré le contenu et la forme de l’entretien comme une matière vivante à réactiver. La construction théorique du projet intègre continuellement des éléments plastiques et conceptuels (la voix-off ou performée, l’action, la posture, le son……) que je partage avec EDS.

Les Climats est une proposition expérimentale qui s’ancre sur le territoire d’une recherche qui affirme le processus comme une forme autonome en soi et fondamentalement non aboutie. Elle tente de questionner la dimension sémantique et abstraite du langage ainsi que les différents niveaux du discours.

Concrètement, il s’agit d’un triptyque, fondé sur une complexification formelle croissante de la première à la dernière partie. C’est une allusion forte à la triple blessure narcissique imposée à l’humanité (la terre n’est pas le centre de l’univers, Copernic ; l’homme est un animal inscrit dans une histoire évolutive dont il n’est pas le résultat ultime, Darwin ; et l’inconscient est l’autre versant de la réalité, Freud).

Les Climats Part I est une traversée cinématographique, sorte de bande sonore conceptuelle et sensorielle, plongeant l’auditeur dans une écoute vibratoire solitaire, dans une bulle atmosphérique où la voix se manifeste alternativement comme organe expressif de la pensée et comme support acoustique de notre animalité.

Les Climats Part II est un film, explorant la dimension ambiguë du « personnage » dont certains déterminants ont été esquissés déjà dans Les Climats I.

Les Climats Part III est un évènement bâti en trois actes performatifs. C’est une référence à la scène comme l’endroit de l’exposition, mais c’est aussi une référence directe à certaines constructions scéniques d’EDS, et enfin c’est une référence à la dissertation (introduction, développement, conclusion), et particulièrement à la question du langage, de son sens ambigu, et de la dimension autoritaire du discours.
> L’acte 1 / introduction - exercice de l'étonnement
est une performance sonore et visuelle en solo (max. 30 min.)
> L’acte 2 / développement - les contraintes de l'extérieur
est une performance sonore et visuelle en duo (max. 30 min.)
> L’acte 3 / conclusion - la conjuration du sens
est une performance sonore et visuelle avec la participation des élèves du Conservatoire (max. 30 min.) Les Climats III : performances La dissertation, le discours….
La référence métaphorique à la dissertation, à la méthode, au discours, est une allusion forte à l’ exercice qu’il signifie (apparue en France au XVII ème siècle en latin, dont l’origine est la disputatio médiévale, sous forme de débat rhétorique et de discussion orale des thèses).
Etant dans le cadre de mon travail artistique très intéressé par les formes et les modalités de transmission du savoir (par les médias de l’information, de l’éducation...), il me semble que nous nous sommes quelque peu éloignés de «l’étonnement» dont parlait Aristote, pour structurer la pensée dans une forme ayant donné naissance à la dissertation, comme un des outils des sciences de l’esprit, et qui est central dans les sciences de l’éducation.

Où l’étonnement s’est t-il donc réfugié ?

Nous savons que l’esprit humain est projectif, et «se lance» littéralement en avant, depuis l’origine de l’humanité.
De grandes étapes peuvent être repérées dans l’histoire des diverses civilisation, souvent par des innovations technologiques (bien que les plus déterminantes soient dues avant tout à des changements radicaux de la pensée et de paradigmes philosophiques et scientifiques), elles-même permises par la spécificité de notre outil peut-être le plus brillant : la main.
Cette main ayant favorisé l’hominisation selon Leroy Gourhan, a poussé l’éspèce humaine dans un mouvement accélérateur, inéluctable et sans cesse ascendant vers la connaissance à tout prix, comme s’il y avait une sorte de mystère final à perçer.

Descartes a littéralement établi, en célébrant la logique et la la vision d’un monde à lire dans le langage mathématique, les fondements nouveaux du réel, ayant naturellement ouvert la voie à la pensée utilitaire, classificatoire, déterministe, matérialiste etc.

Henri Poincarré a merveilleusement démontré que les lois de la gravitation universelle n’étaient pas suffisantes pour comprendre le monde physique, et qu’il fallait introduire le chaos au coeur des équations déterministes de Newton.
Nous savons aujourd’hui que le monde ne peut pas se résumer à des dimensions entières et harmonieuses, et qu’il est en équilibre (de plus en plus précaire ?) en permanence instable dans un combat entre le chaos et l’harmonie.
La dimension éminemment fractale du monde confirme cette réalité.

Notre monde se concentre dangereusement en une forme unique et totalement maîtrisée.
Il semble urgent de retrouver le plaisir de l’étonnement.
Les systèmes humains sont-ils nécessairement fondés sur la conclusion ?

Comment donc se penser autre que «modernes» puisque nous ne l’avons jamais été (B.Latour) et comment «réenchanter» (B.Stiegler) une humanité, dont les forces de pensée et de création ne cessent d’être dramatiquement amoindries par le monde politique ?
Redevenons hasardeux et cessons de croire que nous sommes nécessaires à la production de la vie.